Le Florilège

Charmante K


C'est un soir de loups échauffés par le cri fauve des guitares. Elle apparaît aux noirceurs comme un ange improbable. En un chassé-croisé de regards, elle s'approprie le temps. Une tendre demie-lune illumine son visage en un sourire, alors qu'au creux de ses perles de jais réside une claire vision sagace, vieille comme toute la conscience du monde. Avec suffisamment d'attention, on y entraperçois un jardin de lotus enlacé aux nuages, là elle cultive inlassablement des forêts luxuriantes de poésie, une constellation lénifiante peuplée par toutes ses mélodies. On devine alors la nature profonde de son âme malgré ses traits de jeunesse. 


Nous échangeons quelques étincelles enthousiastes comme si nous nous connaissons déjà. Je trouve une âme soeur et jumelle dans une nuit transie par l'automne, un feu joyeux et vivant pour acclamer la candeur des étoiles. J'ai le plexus qui s'exalte d'un amour plus grand qu'une romance, celui d'une amitié franche et fulgurante, consumée par l'élan des secondes qui passent. 


Elle fut brève, charmante et éternelle, comme nos vies qui se plissent entre la terre et le ciel.
 

Hors d'oeuvre

J’ai appétit je dévore la crinoline fleurie au-delà du miroir où les lèvres bonbons embrassent le couperet du boucher qui danse quand les astres farcis sont prétextes aux regards de la chair qui écume un filet du destin dans un corps de chagrin qui accueille l’aurore au détour imprévu de la vie qui s'endort évanouie assoupie sous les phares de la mort

 

Faites vite avant de vous étendre et d’éteindre la lumière

Des guns à fleurs et du «love power»

[Autopsie de l’horreur]

 

Le bruit des mortiers, des rafales offensives et le vacarme typique de la destruction enchevêtrent ma nuit d’homme: on m’explique la barbarie stalinienne à l’air de l’Armée Rouge et des excès communistes d’une époque qu’on qualifie de révolue. Témoin anachronique d’une révolution qui n’a jamais été et ne sera jamais mienne, j’entrecoupe les désastres de mes contemporains à ceux d’un cruel Kremlin. Plus ça change, plus c’est pareil.

 

L’usage des violences a toujours été pour moi une aberration, une vulgaire comédie où les dirigeants rivalisent d’imagination pour justifier l’injustifiable: la mort, la mort et encore la mort. Ils ont même l’impudence de déguiser la hargne en la costumant de vertus tels la liberté, le bien commun et même la justice. L’ignorance de la populace agissant comme un puissant sédatif, les tyrans réussissent à berner grâce à une forme ou une autre de dictature de l’esprit, catalyseur qui mobilise même les plus doux dans une sphère de cruauté quasi animale.

 

À l’ère du partage et de l’information, le règne de la peur prendra fin tôt ou tard.

 

[Un vague sein pour la rage]

 

Il n’y a pas de territoire plus doux que la peau des femmes, de lieu plus douillet que l’iris des femmes, d’amour plus aimant que celui des femmes. À l’homme militaire au coeur d’airain sera prescrit de s’enfermer dans la splendeur des femmes.

 

[Prélude aux chaleurs humaines]

 

L’humain ayant longuement souffert de ses misères et ses frayeurs, il se dénude pour envahir les citées de béton. Une masse brillante et fulgurante en phase avec l’univers, marchant d’un seul pas pour déboulonner les chars, désamorcer l’ogive et dévisser les parlements. Les semeurs de morts, cette minable minorité, sont acculés au pied du mur pour être fusillés d’amour avec des guns à fleurs.

 

War is over!

 

Mistral, grand animal

[Frange d'aurore]

Il y a des soirs plus drabes que de fouiller le coeur de Mistral pour retrouver un poème. La nuit s'annonce furieuse quand tu tombes dans les serres de ses mots, et que l'oiseau des flammes t'emporte danser au creux du volcan. J'ai beau me rouler par terre, mais il y a juste de la braise aux alentours. J'attendrai la fin pour m'éteindre.

[Tranche d'aube]

Quelques vers plus tard, j'enfin ledit poème, mais un autre m'a aussi trouvé.

 

FIÈVRE

Qu'il est doux d'évoquer les anciennes audaces,

L'âme en broussaille et le cheveu folâtre,

Rebelle sans cause au regard épineux

Comme du chaparral farouchement sauvage,

Allant, contre le vent et la vague sage,

Fiévreux dans l'âpre bataille pour la vie,

La vitesse et le droit de ne jamais mourir.

 

— Christian Mistral

Le chant d'une saison

 

Le vent s'évanouit bruyamment dans la rangée d'arbres. Le cliquetis des feuilles renvoie au soleil sa crinière de couleur. L'automne est un loup blessé dont les jours raccourcissent.

J'anticipe le passage de mon esprit à un autre état. J'écoute le chant diatonique de la mutation vibratoire. Un troisième astre ésotérique transfigure mon front. Je fonds tranquillement dans la soupe du macrocosme.

L'égo est absent en fin de triade. C'est le corps en amour qui s'entiche de l'âme. La conscience apaisée d'une saison aux teintes ocre et carminées, le temps suspend sa course et ouvre son écrin diamanté. Un fleuve de larmes alimente le courant de l'émoi. Je découvre finalement où tout a commencé.

On tourne en rond pour le mieux et pour de bon.